BRUME DE DIEU – RECHERCHES POUR UN FILM À VENIR

FILMER LE MURMURE DU VENT…..


Claude Régy a toujours farouchement interdit toute captation de son travail. Parce qu’il sait mieux que personne que la matière de son travail est invisible, parce qu’il sent mieux que quiconque que l’impalpable de la représentation et les courants souterrains qui la traversent ne peuvent exister dans un espace qui serait réduit à celui d’une boîte de télévision. Parce qu’il croit encore au suprême échange du contact vivant, à la circulation de la vie entre des êtres situés dans un même espace, celui de l’expérience de la représentation.

Et peut-être parce qu’au-delà de tout, l’idée qu’une création par définition éphémère puisse être mise en conserve lui a toujours semblé sacrilège, voire indécente.

Pourtant, une fois, il a dérogé à cette règle à l’occasion d’un film que j’ai réalisé sur et avec lui, Claude Régy, la brûlure du monde (2005).

Pour ce portrait, il m’a autorisé, en toute liberté, à filmer des extraits de Comme un chant de David, spectacle créé à partir des Psaumes, avec Valérie Dréville, au Théâtre National de Bretagne à Rennes.  Spectacle pour lequel je l’avais assisté, pendant plusieurs mois de répétitions, pour la mise en scène.

En découvrant les images de ce film nous avons senti, ensemble, qu’aux antipodes de la captation télévisuelle, il était possible d’inventer une manière de restituer, pour l’image, un travail élaboré pour le plateau. Et que pour cela, il fallait chercher comment, avec les moyens du cinéma, transposer la matière vivante en une matière filmique.

S’interroger donc, chercher, non pas capter, mais recréer. Conditions sine qua non pour ne rien trahir.

Sur les images de ce film, sans qu’on puisse l’expliquer, comme une grâce, sur le visage de Valérie Dréville cadré en plan très rapproché se lisait l’intégralité du spectacle. On sait que Claude Régy axe son travail sur le jeu de l’acteur en le menant vers des contrées inexplorées de l’être, loin du réalisme psychologique et du naturalisme conventionnel. On ignorait que sa recherche sur la théâtralité du langage, de l’espace et de la lumière pouvait aussi, en condensé frémissant, se refléter dans un regard, une main qui s’élève ou le silence qui entoure un corps immobile.

C’est cette expérience qui aujourd’hui nous amène à imaginer un film qui serait issu du spectacle de Claude Régy. C’est surtout parce qu’en découvrant la maquette de l’espace scénographique et les premières recherches sur la nature de la lumière, il m’a semblé évident qu’il fallait entreprendre un film.

Le premier et sans doute le seul qui restituerait l’intégralité d’un travail de Régy.

Parce que je sens qu’il faut inventer cette trace.

Parce qu’il faut qu’elle existe.

Parce que Claude Régy a tout de suite été chaleureusement enthousiaste à l’idée de me confier la réalisation de ce film. Et parce que nous allons travailler ensemble, Claude Régy, Sallahdyn Katir le scénographe, Rémi Godfroy le créateur de la lumière, Philippe Cachia pour la création sonore, et l’acteur Laurent Cazanave

Le centre du projet c’est donc la mise en scène de Claude Régy. C’est aussi une rencontre à plusieurs, celle de  Claude Régy avec le poète Tarjei Vesaas. Une rencontre comme une évidence. C’est aussi la rencontre de cette évidence avec l’acteur Laurent Cazanave; Claude Régy poursuivant avec lui un travail de recherche engagé il y a quelques années  dans le cadre d’un atelier de formation à l’école de Théâtre National de Bretagne.

Un film qui serait conçu comme la fusion du vivant et de l’image ; celle d’un corps et d’un visage et de la vastitude des paysages de lumière qui le portent. Nécessité de l’humilité absolue devant un travail et, à la fois, nécessité de l’audace et de la liberté la plus folle pour espérer pouvoir le restituer.

La fusion entre un immense metteur en scène au sommet de son art et la poésie bouleversante d’un géant de la sensation.

La surimpression de leurs sensibilités mêlées, radicales dans un chaos limpide.

Ce film, Brume de dieu, ce serait ça.

Une série de représentations programmée par La Scène nationale de Cherbourg aura lieu, en mars prochain, dans un ancien bâtiment de l’Ecole de Beaux-arts de la ville. C’est dans ce lieu, vaste et nu que sera installé l’espace scénographique du spectacle. Dès sa découverte, en mars dernier, ce lieu nous a semblé idéal, de par sa vastitude et son caractère particulier, pour y concevoir le tournage de ce film.


Expérience

Expérience est sans doute le terme le plus juste quand on aborde le travail de Claude Régy tant la réception de ce travail requiert un état d’ouverture et de disponibilité intérieure. Car c’est bien de cela dont il s’agit avec ce spectacle Brume de dieu, un voyage intime aux confins de la perception du sens, de l’image, du son, de l’espace et de tous ces éléments organiquement mêlés.

Les repères habituels s’effacent et d’autres ressources de perceptions sont convoquées. L’écoute et la vision se troublent, l’acuité de la sensation s’approfondit et la théâtralité inhérente au langage qui est le cœur même du travail de Régy balaye de plein fouet les restes moribonds du théâtre réaliste et psychologique.  Ici, c’est la matière vivante de l’écriture qui apparaît et qui délivre tout ce qu’elle contient d’inconscient, de non clarifié, de complexe et de contradictoire et qui justement, non simplifiée, atteint chez le spectateur ces mêmes zones de trouble.

Expérience, c’est aussi l’état d’esprit dans lequel j’envisage la réalisation de ce film. L’enjeu qui apparaît évident est de transposer pour l’image filmique la matière du spectacle. Pour cela, il semble absolument nécessaire de rester au plus près des données radicales de l’écriture scénique et d’opter pour des choix de réalisation qui n’altèrent en rien leur force et leur intégrité, conditions sine qua non de l’intérêt du projet.

Synopsis

Mattis est un arriéré, croit-on, qui se tient hors de la zone du travail, un arriéré qui voit des choses que les autres ne voient pas. Il lit les signes laissés dans la boue par les oiseaux. Il déchiffre les traces dans la boue de leurs pattes d’oiseaux. Ces traces sont une écriture, un langage que n’entend pas la normalité. Une réalité généralement non perçue. Aveugle et sourde à ces signes est la sœur de Mattis. Elle, si près de lui depuis l’enfance et sans cesse, jusqu’au moment où elle à besoin d’une vie sexuelle. Le rapport à son frère était tellement fusionnel et complexe qu’elle n’avait pas de vie sexuelle, leur rapport semblait l’inclure, sans que le corps soit concerné. Mais quelque chose s’était effondré.

Eperdu de désœuvrement Mattis avait imaginé cette fiction d’être, avec sa barque, passeur sur le lac. Personne ne demandait à traverser.

Une seule fois un homme – un bûcheron – appelle, et Mattis le conduit dans cette petite maison qu’il habite avec sa sœur. Naît une sexualité où les corps sont engagés. Mattis en est exclu.

Il n’aura plus qu’à s’abandonner à une manière d’en finir, s’abandonnant au hasard du vent. Le vent se lève. Un cri terrible retentit sur le lac.

****

Le spectacle créé par Claude Régy est constitué d’un dispositif scénographique de douze mètres d’ouverture. Un espace à la fois brut et extrêmement élaboré, sol de verre noir évoquant les eaux profondes d’un lac dont les reflets laissent entrevoir la possibilité d’une autre réalité, obscure et sans fond, celle d’une autre conscience et d’un autre rapport au monde. Des murs latéraux de pierres, clairs, condensent cet espace et le propulsent dans une perspective infinie, irréelle qui se perd dans l’éclat de son propre reflet. Un espace mental, peut-être, où la lumière et l’obscurité se mêlent sans s’altérer. Un cadre de scène très bas, noir, vient découper nettement l’image et en accentuer la profondeur. L’écran est large, le format extrêmement cinématographique. L’acteur traverse cet espace comme on franchit les membranes de ténèbres invisibles pour venir se fixer à l’avant-scène. Et sur l’image une autre dimension apparaît. L’espace devient alors la chambre d’échos d’une conscience en mouvements. C’est ce contact extrêmement rapproché du spectateur avec l’acteur qui permet la transmission de la matière de l’écriture et qui fait du visage de l’acteur une table de lecture où peuvent se lire les mouvements intérieurs, ceux, infimes, de la conscience. Un visage devenu paysage et qui va se perdre lui aussi dans d’autres paysages, ceux que la lumière va créer dans cet espace sans limite du dispositif.

Ces paysages de lumières aux intensités et aux couleurs changeantes envahissent le corps et le visage de l’acteur jusqu’à en effacer parfois les contours, ne laissant apparaître alors qu’une présence lumineuse, traversée de reflets et de rémanences.

D’autres mouvements sont étrangement générés par la bande sonore, véritable création musicale. Ensemble, tous ces mouvements viennent transcender l’espace et constituent, en eux-mêmes, la mise en scène du spectacle et l’écriture du film.

Filmer cette mise en scène, c’est avant tout respecter le travail de Claude Régy. Avec l’intention avouée de le restituer dans sa radicalité extrême.

Pour que l’expérience du spectateur du film rejoigne celle du spectateur du spectacle.

La durée envisagée du film sera proche de celle de la durée du spectacle : 80mn.

Le temps de cette durée participe de toute évidence à la singularité et à la force de l’expérience.

Comment ne pas imaginer un film hors normes pour une œuvre qui dépasse la raison.

Une expérience, donc.


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